24 mars 2010. Auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris.
Intervention de Charles Palant
Chère Catherine Vieu-Charier, adjointe au Maire de Paris, chargée de la Mémoire et du Monde Combattant,
Chers Amis et Camarades,
Nous vivons aujourd’hui un moment historique. Dans cette salle de la Mairie de Paris, nous sommes venus entendre le projet de création d’un Espace de Mémoire dédié aux Résistants Juifs de la M.O.I. Cet espace de mémoire se situera 14 rue de Paradis – le 14 – comme nous disons, dans ce lieu tellement chargé de souvenirs et d’histoire.
Souvenirs : ceux des femmes et des hommes, nos amis, nos camarades dont beaucoup ne sont plus mais dont les visages défilent sans cesse dans le long film de notre mémoire.
Histoire, celle assurément des combats hier périlleux et héroïques dans la Résistance. Celle aussi de l’inlassable action conduite sans relâche depuis soixante-cinq ans pour maintenir dans la société française un judaïsme vivant et dynamique de culture progressiste, laïque et citoyenne.
Le 14 rue de Paradis est bien le lieu indiqué pour contenir l’Espace projeté dédié à la mémoire des Résistants juifs de la M.O.I. Leur épopée doit être portée dans toute sa vérité à la connaissance des générations nouvelles.
Rien de plus vrai que cette affirmation contenue dans le texte premier de l’association MRJ/MOI : Le devoir de mémoire ne s’impose pas qu’en considération des morts. C’est un devoir à l’égard des vivants. Rien de plus juste que de rappeler également que : Pendant l’occupation les Résistants organisés dans le cadre de la MOI ont contribué avec d’autres patriotes issus de divers milieux juifs immigrés à organiser la lutte contre l’occupant et ses complices ainsi que la solidarité.
C’est ainsi que sont nés l’UJRE, l’UJJ, le MNCR…On peut également rappeler la part prise par les mêmes dans la création du CRIF en 1943.
Dans l’imaginaire populaire, notamment chez les plus jeunes, l’action armée des résistants, tient seule une place privilégiée. Nous le voyons bien lorsque nous portons témoignage dans les collèges et les lycées. Notre pays était occupé par l’armée allemande. Donc seule l’action armée pouvait l’en chasser. Ce qui somme toute est profondément juste et vrai. Mais peut-on – mais doit-on - s’en tenir à cette seule vision de la Résistance ?
Une autre équation simplificatrice c’est la notion du temps. La deuxième guerre mondiale a duré près de six ans, de septembre 1939 à mai 1945. Qu’est-ce que cela peut bien signifier - six années - pour les plus jeunes devant lesquels nous témoignons aujourd’hui ? Il y a un mois j’étais invité dans une école devant les élèves de CM 1 et CM2. Filles et garçons, tous, attentifs, posaient des questions intelligentes. Cependant tous étaient nés après l’an 2000. Avec quels mots convient-il de leur parler aujourd’hui?
Nous célébrons cette année le soixante-cinquième anniversaire de la victoire sur la barbarie fasciste. Le prix humain si élevé de cette victoire s’est soldé par cinquante millions de morts. Le nombre des victimes civiles était de très loin supérieur à celles, bien sûr trop nombreuses, des victimes militaires.
Le but proclamé par la coalition fasciste était de réduire en esclavage les peuples conquis déclarés de race inférieure. S’agissant des Juifs l’objectif nazi était notre anéantissement total. Pour quelque six millions de Juifs d’Europe cet objectif fut, hélas atteint. Dans notre pays, alors en- proie au fascisme à la française, quatre-vingt mille Juifs dont onze mille enfants d’abord fichés, dépouillés, traqués par la flicaille de Vichy, ses délateurs, ses miliciens furent livrés à la mort. Ce temps était celui où, la France commettait l’irréparable, selon la formule célèbre.
Les Juifs ont résisté en France. En effet, pourrait-on citer un seul réseau, un seul maquis, un seul mouvement politique ou syndical de la Résistance intérieure, un seul régiment de la France libre dont les Juifs auraient été absents, particulièrement les juifs de l’immigration. ?
Dans l’entretien préliminaire à cette réunion, que nous avons eu, Bernard Frédérick et moi, nous avons observé que presque tous les courants de la Résistance avaient eu pour pionniers des militants d’avant la guerre. C’était encore plus vrai s’agissant des résistants de l’immigration juive qui comptait dans les années 30 un ensemble dense d’organisations politiques et syndicales, et d’associations culturelles, artistiques, sportives et d’entre aide y compris les sociétés mutuelles qui jouaient le rôle de familles reconstituées, loin des villes et des shtetels dont leurs adhérents étaient originaires.
A la maison, souvent, c’était le matelas que l’on tirait la nuit pour un nouvel arrivant, parent ou ami, parfois pour une famille entière.
Posséder une carte de séjour commençait alors par l’incessant renouvellement à la préfecture du provisoire « récépissé » valable quelques mois ou quelques semaines. Quand le cycle de ces renouvellements n’était pas interrompu par un arrêté d’expulsion, le redoutable « ausweis » comme on disait en yddish. Les difficiles chemins de l’existence des « sans papiers » passaient alors par le travail clandestin, les logis clandestins, les restaurants clandestins.
C’était le temps où les hommes du pouvoir s’appelaient Laval, Flandin, Chiappe…Cela dura jusqu’à l’avènement du Front Populaire en 1936, ce lumineux moment du bonheur entrevu, avant que ne tombe la longue et épouvantable nuit.
Quand survint le temps du malheur, c’est naturellement vers ces femmes et ces hommes, hier bâtisseurs de solidarité, porteurs des aspirations au mieux-être, combattants pour un monde plus juste à venir, que se sont tournés les êtres en proie aux détresses les plus cruelles Oui, il y a bien eu une Résistance avant la Résistance.
Dans mon livre récemment publié sous le titre Je crois au matin que quelques uns, ici présents, m’ont fait l’amitié d’accueillir avec bienveillance, je raconte mon parcours depuis l’enfance à Belleville, l’arrestation à Lyon, la déportation à Auschwitz puis à Buchenwald où j’ai adhéré au parti communiste français, et après mon retour les engagements militants qui sont encore les miens, j’écrivais à propos de l’ostracisme qui pèse sur certains résistants, notamment sur les résistants juifs de la MOI, ces lignes que vous me pardonnerez de citer :
Que penser de l’interminable procès que l’on continue d’instruire contre les communistes qui n’auraient pris part – et quelle part – à la Résistance que pour des motifs politiques… Mais quels autres « motifs » que leurs convictions politiques, philosophiques, religieuses ou humanistes avaient donc les hommes et les femmes qui, entre 1940 et 1945, les uns un peu plus tôt, les autres un peu plus tard, qui se sont dressés contre la barbarie ? Ceux qui se sont engagés dans la Résistance à partir de leurs convictions auraient-ils moins de mérite que ceux qui sont venus à l’action par hasard ou par le jeu des circonstances ? Soixante années de survie m’ont gardé proche des uns, éloigné de quelques autres, et contre certains je me suis dressé en adversaire résolu, mais il n’en est aucun que j’aie renoncé à estimer et à respecter.
Nous nous apprêtons à combler au 14 rue de Paradis l’intolérable déficit de mémoire visant les Résistants juifs de la MOI. Je vous le dit tout net : Ce déficit, quand il est volontaire, est assimilable au négationnisme. Il faut dénoncer, combattre et corriger cette goujaterie qui défigure l’Histoire.
Je ressens comme une grande fierté d’être parmi les éminentes et prestigieuses personnalités qui parrainent la création d’un Espace de mémoire consacré aux Résistants juifs de la MOI.
De même, mon bonheur est grand de me trouver, ce soir, parmi vous, chers amis et camarades. Je vous remercie.